GUIDE ANTHOLOGIQUE SUR LE VIN
POEMES SUR LE VIN
SONNETS
de Pierre DE RONSARD
Je veux, me souvenant de ma gentille amie,
Boire ce soir d'autant, et pour ce, Corydon,
Fay remplir mes flacons et verse à l'abandon
Du vin pour resjouir toute la compagnie.
Soit que m'amie ait nom ou Cassandre ou Marie,
Je m'en vais boire autant que de lettres a son nom ;
Et toi, si de ta belle et jeune Madelon,
Belleau, l'amour te poinct, je te pri' ne l'oublie.
Qu'on m'ombrage le chef de vigne et de lierre,
Les coudes et le col ; qu'on enfleure la terre
Des roses et des lys, et que dessus le jonc
On me caille du lait rougi de mainte fraise.
Et n'est-ce pas bien fait ? Or sus ! commençons donc,
Et chassons loin de nous tout soing et tout malaise.
Je n'ai plus que les os, un squelette je semble,
Décharné, dénervé, démusclé, dépulpé,
Que le trait de la mort sans pardon a frappé,
Je n'ose voir mes bras que de peur je ne tremble.
Apollon et son fils, deux grands maîtres ensemble,
Ne me sauraient guérir, leur métier m'a trompé ;
Adieu, plaisant Soleil, mon oeil est étoupé,
Mon corps s'en va descendre où tout se désassemble.
Quel ami me voyant en ce point dépouillé
Ne remporte au logis un oeil triste et mouillé,
Me consolant au lit et me baisant le face,
En essuyant mes yeux par la mort endormis ?
Adieu, chers compagnons, adieu, mes chers amis,
Je m'en vais le premier vous préparer la place.