GUIDE ANTHOLOGIQUE SUR LE VIN

POEMES SUR LE VIN

SAGESSE

de Paul VERLAINE * 1844 - 1896 

Mon Dieu m'a dit: Mon fils, il faut m'aimer. Tu vois
Mon flanc percé, mon coeur qui rayonne et qui saigne,
Et mes pieds offensés que Madeleine baigne
De larmes, et mes bras douloureux sous le poids

De tes péchés, et mes mains! Et tu vois la croix,
Tu vois les clous, le fiel, l'éponge, et tout t'enseigne
A n'aimer, en ce monde amer où la chair règne,
Que ma Chair et mon Sang, ma parole et ma voix.

Ne t'ai-je pas aimé jusqu'à la mort moi-même,
Ô mon frère en mon Père, ô mon Fils en l'Esprit
Et n'ai-je pas souffert, comme c'était écrit?

N'ai-je pas sangloté ton angoisse suprême
Et n'ai-je pas sué la sueur de tes nuits,
Lamentable ami qui me cherches où je suis?
O mon frère en mon Père ô mon Fils en l'Esprit...
J'ai répondu: Seigneur, vous avez dit mon âme.
C'est vrai que je vous cherche et ne vous trouve pas
Mais vous aimer! Voyez comme je suis en bas,
Vous dont l'amour toujours monte comme la flamme.

Vous, la source de paix que tout soif réclame,
Hélas! voyez un peu tous mes tristes combats!
Oserai-je adorer la trace de vox pas,
Sur ces genoux saignants d'un rampement infâme?

Et pourtant je vous cherche en longs tâtonnements
Je voudrais que votre ombre au moins vêtit ma honte,
Mais vous n'avez pas d'ombre, ô vous dont l'amour monte,

Ô vous, fontaine calme amère aux seuls amants
De leur damnation, ô vous toute lumière
Sauf aux yeux dont un lourd baiser tient la paupière.
Il faut m'aimer!... Je suis l'universel Baiser,
Je suis cette paupière et je suis cette lèvre
Dont tu parles, ô cher malade, et cette fièvre
Qui t'agite, c'est moi toujours! Il faut oser

M'aimer! Oui, mon amour monte sans biaiser
Jusqu'où ne grimpe pas ton pauvre amour de chèvre,
Et t'emportera, comme un aigle vole un lièvre,
Vers des serpolets qu'un ciel cher vient arroser!

Ô ma nuit claire! ô tes yeux dans mon clair de lune!
Ô ce lit de lumière et d'eau parmi la brune!
Toute cette innocence et tout ce reposoir!

Aime-moi! Ces deux mots sont mes verbes suprêmes,
Car étant ton Dieu tout-puissant, je peux vouloir,
Mais je ne veux d'abord que pouvoir que tu m'aimes!
Seigneur, c'est trop! Vraiment je n'ose. Aimer qui? Vous?
Oh! non! Je tremble et n'ose... Oh! vous aimer, je n'ose,
Je ne veux pas je suis indigne. Vous, la Rose
Immense des purs vents de l'Amour, ô Vous, tous

Les coeurs des Saints, ô Vous qui fûtes le Jaloux
D'israël, Vous, la chaste abeille qui se pose
Sur la seule fleur d'une innocence mi-close,
Quoi, moi, moi pouvoir vous aimer! Êtes-vous fous?
Père, Fils, Esprit? Moi, ce pécheur-ci, ce lâche,
Ce superbe, qui fait le mal comme sa tâche
Et n'a dans tous ses sens, odorat, toucher, goût,

Vue, ouïe, et dans tout son être - hélas! dans tout
Son espoir et dans tout son remords que l'extase
D'une caresse où seul le seul vieil Adam s'embrase?
Il faut m'aimer... Je suis ces Fous que tu nommais,
Je suis l'Adam nouveau qui mange le vieil homme,
Ta Rome, ton Paris, ta Sparte et ta Sodome,
Comme un pauvre rué parmi d'horribles mets.

Mon amour est le feu qui dévore à jamais
Toute chair insensée, et l'évapore comme
Un parfum, - et c'est le déluge qui consomme
En son flot tout mauvais germe que je semais,

Afin qu'un jour la Croix où je meurs fût dressée
Et que par un miracle effrayant de bonté
Je t'eusse un jour à moi, frémissant et dompté.

Aime. Sors de ta nuit. Aime. C'est ma pensée
De toute éternité, pauvre âme délaissée,
Que tu dusses m'aimer, moi seul qui suis resté!
J'ai peur Seigneur... Mon âme en moi tressaille toute.
Je vois, je sens qu'il faut vous aimer. Mais comment
Moi, ceci, me ferais-je, ô mon Dieu, votre amant,
Ô Justice que la vertu des bons redoute?

Oui, comment? Car voici que s'ébranle la voûte
Où mon coeur creusait son ensevelissement
Et que je sens fluer à moi le firmament,
Et je vous dis: de vous à moi quelle est la route?

Tendez-moi votre main, que je puisse lever
Cette chair accroupie et cet esprit malade.
Mais recevoir jamais la céleste accolade,

Est-ce possible? Un jour, pouvoir la retrouver
Dans votre sein, sur votre coeur qui fut le nôtre,
La place où reposa la tête de l'apôtre?
- Certes, si tu le veux mériter, mon fils, oui,
Et voici. Laisse aller l'ignorance indécise
De ton coeur vers les bras ouverts de mon Église
Comme la guêpe vole au lis épanoui.

Approche-toi de mon oreille Épanches-y
L'humiliation d'une brave franchise
Dis-moi tout sans un mot d'orgueil ou de reprise
Et m'offre le bouquet d'un repentir choisi.

Approche-toi de mon oreille... J'ai peur, Seigneur...
Puis franchement et simplement viens à ma table,
Et je t'y bénirai d'un repas délectable
Auquel l'ange n'aura lui-même qu'assisté,

Et tu boiras le Vin de la vigne immuable
Dont la force, dont la douceur, dont la bonté
Feront germer ton sang à l'immortalité.

Puis, va! Garde une foi modeste en ce mystère
D'amour par quoi je suis ta chair et ta raison,
Et surtout reviens très souvent dans ma maison,
Pour y participer au Vin qui désaltère,

Au Pain sans qui la vie est une trahison,
Pour y prier mon Père et supplier ma mère
Qu'il te soit accordé, dans l'exil de la terre,
D'être l'agneau sans cris qui donne sa toison,

Ah! Seigneur, qu'ai-je? Hélas? me voici tout en larmes
D'une joie extraordinaire: votre voix
Me fait comme du bien et du mal à la fois,
Et le mal et le bien, tout a les mêmes charmes.

Je ris, je pleure, et c'est comme un appel aux armes
D'un clairon pour des champs de bataille où je vois
Des anges bleus et blancs portés sur des pavois,
Et ce clairon m'enlève en de fières alarmes.

J'ai l'extase et j'ai la terreur d'être choisi,
Je suis indigne, mais je sais votre clémence.
Ah! Quel effort, mais quelle ardeur! Et me voici

Plein d'une humble prière, encore qu'un trouble immense
Brouille l'espoir que votre voix me révéla,
Et j'aspire en tremblant.

 

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