GUIDE ANTHOLOGIQUE SUR LE VIN
POEMES SUR LE VIN
ROMANCE DU VIN
de NELLIGAN
En 1899, le poète Émile Nelligan a 20 ans. Il travaille à la préparation du recueil de ses poèmes et participe aux séances publiques de l'École littéraire du Château de Ramezay, à Montréal. Le 26 mai, il récite La Romance du vin, qui lui mérite un triomphe. Puis, c'est la déroute du
poète. Atteint de schizophrénie (rupture de contact avec le monde extérieur - une maladie ignorée à l'époque), Nelligan est interné et son oeuvre terminée. Des amis cherchent en vain à le retrouver. Le poète résidera à la retraite Saint-Benoît jusqu'en 1925, avant d'entrer à l'hôpital Saint-Jean-de-Dieu (aujourd'hui Louis-H. Lafontaine) où il terminera ses jours, en 1941. Voici quelques poèmes d'Émile Nelligan tirés du livre "Émile Nelligan, Poèmes choisis" - Présentés par Éloi de Grandmont/ Éditions Fides, 1966.
Tout se mêle en un vif éclat de gaîté verté.
Ô le beau soir de mai ! Tous les oiseaux en choeur,
Ainsi que les espoirs naguères à mon coeur,
Modulent leur prélude à ma croisée ouverte.
Ô le beau soir de mai ! le joyeux soir de mai !
Un orgue au loin éclate en froides mélopées;
Et les rayons, ainsi que de pourpres épées,
Percent le coeur du jour qui se meurt parfumé.
Je suis gai ! je suis gai ! Dans le cristal qui chante,
Verse, verse le vin ! verse encore et toujours,
Que je puisse oublier la tristesse des jours,
Dans le dédain que j'ai de la foule méchante !
Je suis gai ! je suis gai ! Vive le vin et l'Art !...
J'ai le rêve de faire aussi des vers célèbres,
Des vers qui gémiront les musiques funèbres
Des vents d'automne au loin passant dans le brouillard.
C'est le règne du rire amer et de la rage
De se savoir poète et l'objet du mépris,
De se savoir un coeur et de n'être compris
Que par le clair de lune et les grands soirs d'orage !
Femmes ! je bois à vous qui riez du chemin
Où l'Idéal m'appelle en ouvrant ses bras roses;
Je bois à vous surtout, hommes aux fronts moroses
Qui dédaignez ma vie et repoussez ma main !
Pendant que tout l'azur s'étoile dans la gloire,
Et qu'un hymne s'entonne au renouveau doré,
Sur le jour expirant je n'ai donc pas pleuré,
Moi qui marche à tâtons dans ma jeunesse noire !
Je suis gai ! je suis gai ! Vive le soir de mai !
Je suis follement gai, sans être pourtant ivre !...
Serait-ce que je suis enfin heureux de vivre;
Enfin mon coeur est-il guéri d'avoir aimé ?
Les cloches ont chanté; le vent du soir odore...
Et pendant que le vin ruisselle à joyeux flots,
Je suis si gai, si gai, dans mon rire sonore,
Oh ! si gai, que j'ai peur d'éclater en sanglots !