GUIDE ANTHOLOGIQUE SUR LE VIN
POEMES SUR LE VIN
JUSTE RETOUR
de Théodore Faullin de BANVILLE * 1823 - 1891
Rouges, roses, criant de joie,
Vêtus de velours et de soie,
Des petits garçons, choeur charmant
D'espérances réalisées,
Courent dans les Champs-élysées,
Près de la vasque au flot dormant.
On dirait des fils de princesse.
Mais bien vite leur gaîté cesse
Devant un spectacle imprévu.
Un groupe de petites filles
Toutes pâles sous leurs guenilles,
Hélas! voilà ce qu'ils ont vu.
Le vent rougit leurs omoplates.
On voit de leurs mornes savates
S'évader, comme un noir filou,
Le pied nu de ces vagabondes,
Et leurs cheveux, tignasses blondes,
Sont peignés au moyen d'un clou.
Les pauvres traîneuses de loques
Ont admiré les belles toques
Et les blonds cheveux des garçons,
Et contemplent, un peu jalouses,
Le velours doré de leurs blouses,
Où le zéphyr met des frissons.
Leurs prunelles s'emparadisent.
Mais les beaux petits garçons disent,
Courant, comme de jeunes daims
Parmi le vert gazon des plaines:
Comment laisse-t-on ces vilaines
S'égarer dans les beaux jardins?
Or, s'attristant à leurs folies,
La vieille marchande d'oublies
Vient et leur parle. Elle a cent ans,
Et dans le fond de ses yeux vagues
Errent, pressés comme des vagues,
Les spectres des anciens printemps.
Oh! dit-elle, chérubins roses,
La sagesse aux clartés moroses
Est ce dont je vous fais présent.
Ces fillettes aux dents pointues
Seront, quelque jour, mieux vêtues
Que vous ne l'êtes à présent.
Tout arrive, en ce monde infirme.
Un jour viendra, je vous l'affirme,
Où ces Gothons et ces Margots
Vous siffleront comme des merles
Et, pour rire, fondront vos perles
Dans leur vin de Château-Margaux.
Les diamants à leurs oreilles
Pendront, comme la grappe aux treilles.
Alors le temps aura marché,
Et c'est vous, ô jeunes microbes,
Qui leur achèterez des robes
Chez les Worths, plus cher qu'au marché!