GUIDE ANTHOLOGIQUE SUR LE VIN
POEMES SUR LE VIN
COUPLETS A MON VERRE
Antoine Desaugiers ( poésies, 1808)
Quand je vois des gens ici-bas
Sécher de chagrin et d'envie,
Ces malheureux, dis je tout bas,
N'ont donc jamais bu de leur vie !
On ne m'entendra pas crier
Peine, famine, ni misère,
Tant que j'aurai de quoi payer
Le vin que peut tenir mon verre.
Riche sans posséder un sou,
Rien n'excite ma jalousie ;
Je ris des mines du Pérou,
Je ris des trésors de l'Asie,
Car sans sortir de mon taudis,
Grâce au seul Dieu que je révère,
Je vois et topaze et rubis
Scintiller au fond de mon verre.
Tout nous atteste que le vin
De tous les maux est le remède,
Et les dieux n'ont pas fait en vain
Un échanson de Ganymède,
Je gage même que ces coups
Que l'homme attribue au tonnerre
Sont moins l'effet de leur courroux
Que du choc bruyant de leur verre.
Chaque jour l'humide fléau
Des cieux ne rompt-il pas les digues ?
Si les Immortels aimaient l'eau
Ils n'en seraient pas si prodigues ;
Et quand nous voyons par torrent
La pluie inonder notre terre,
C'est qu'ils rejettent en jurant
L'eau que l'on verse dans leur verre.
Le bon vin rend l'homme meilleur
Car du monarque assis à table
Vit-on jamais le bras vengeur
Signer la perte d'un coupable ?
De son coeur le courroux banni
N'obscurcit plus son front sévère.
Armé du sceptre, il l'eût puni ;
Il lui pardonne, armé du verre,
Je ne sais par quel vertigo
Ou quelle substance extrême,
Narcisse, en se mirant dans l'eau,
Devint amoureux de lui-même :
Moi, fort souvent je suis atteint
De cette risible chimère
Mais lorsque je vois mon teint
Pourpré par le reflet du verre,
Dieu du vin, dieu de l'univers,
Toi qui me fis à ton image,
Reçois ce tribut de mes vers :
Et, pour couronner ton ouvrage,
Fais jusqu'à mes instants derniers
Que dans ma soif je persévère,
Et qu'à ma mort mes héritiers
Ne trouvent plus rien dans mon verre