PARLER DU VIN
ANTHOLOGIE
LA LEGENDE DU VIN EN CHINE
Si les spiritueux font partie de l'héritage culturel des divers peuples du monde, l'art et la manière de le consommer est propre à chacun d'eux. En Chine, les origines de la distillation remontent fort loin dans le temps. Les Chinois de l'Antiquité ont utilisé l'alcool pour les libations en honneur aux ancêtres, l'ont savouré en écrivant de la prose ou de la poésie, ou encore ont trinqué avec leurs parents et amis lors de festivités. Sans doute les alcools ont-ils occupé une place importante dans la civilisation et la vie du peuple chinois.
Les alcools préparés à base de céréales (riz, kaoliang, sorgo etc.) étaient la boisson favorite des hommes de lettres chinois. Il faisait aussi partie de la vie des gens ordinaires. Il avait toujours sa place aux banquets des princes, des rois et des empereurs. Les carafes et autres récipients destinés à recevoir les spiritueux sont ainsi devenus d'importants objets cultuels. En Chine, la fabrication d'alcool à base de céréales remonte à des temps anciens.
Les gouvernements successifs décidaient d'imposer ou non un ban sur la fabrication des alcools ou de lever de lourds impôts sur l'alcool en fonction de l'abondance ou de la pénurie de céréales. Ainsi, à travers les éges, la consommation d'alcool entra peu à peu dans la vie quotidienne du peuple, mais lui apporta souvent un fardeau d'impôts supplémentaire.
Les excès conduisaient parfois à la débauche ou à des comportements répréhensibles. C'est pourquoi, se fondant sur des principes moraux, certains condamnaient l'excès de boisson, tout en parlant de ses vertus. D'autres s'intéressaient aux propriétés médicales et toniques de l'alcool, et fabriquaient des spiritueux médicinaux.
Etant donnée l'immensité du territoire chinois, qui regorgeait de ressources, il existait des différences notables entre les modes régionaux de récolte et de brassage. Les crus devaient aussi leur diversité aux différences de qualité de l'eau et des sols. A différentes époques, les hommes de lettres chinois ont consigné les différentes méthodes de vinification et de distillation, et les boissons fortes ont inspiré quantité de poèmes et de monographies. Elles ont donc enrichi la vie des Chinois à maints égards.
Les ouvrages chinois anciens contiennent de nombreuses références aux eaux-de-vie, mais la plupart ne sont que des fables. La tradition regarde par exemple Tou Kang comme l'inventeur de l'alcool, et l'a consacré dieu des Spiritueux. Cette histoire est probablement dépourvue de tout crédit historique, mais de telles légendes possèdent néanmoins un sens folklorique qui ne peut être ignoré.
Des fouilles archéologiques récentes ont permis la découverte d'un site de fabrication d'alcool datant des Chang (XVIe - XIe siècles av. J.-C.). A cette époque, l'usage des céréales pour la fabrication d'alcools était déjà largement répandu. Des inscriptions sur os scapulaires et carapaces de tortue, ainsi que sur bronzes, attestent en maints endroits que, sous cette dynastie, les boissons alcoolisées tenaient un grand rôle dans le culte rendu aux ancêtres, et que leur consommation était très répandue.
Les progrès techniques se sont accélérés à partir du IIIe siècle de l'ère chrétienne. La fabrication de spiritueux était alors répandue parmi toutes les couches sociales, ce qui a non seulement conduit à une diversification des sortes d'alcools existants, mais aussi stimulé les progrès technologiques. Il semble que cette tradition de fabrication d'un alcool à base de céréales soit un trait particulier à la Chine.
De nombreux récits historiques chinois citent de grands buveurs parmi les hommes de lettres, les poètes et les chevaliers des dynasties médiévales de Weï, de Tsin et de T'ang. Les liens étroits existant entre l'alcool et la civilisation font l'objet de commentaires élaborés, d'où il ressort qu'il existait une étroite relation entre les penseurs et la société de l'époque. Bien que cette liaison entre les intellectuels chinois et l'alcool n'ait pas pris naissance sous les dynasties de Weï et de Tsin, on ne peut nier que les libations aient occupé une place prépondérante dans la vie des «Sept sages de la bambouseraie», un célèbre groupe d'érudits sous la dynastie de Tsin.
Il existe beaucoup d'anecdotes chinoises amusantes relatives à l'art du boire. Par exemple, les Chinois du temps jadis avaient l'habitude de siroter bruyamment leur eau-de-vie ou de l'avaler d'un coup. Tao Yuan-ming, un célèbre poète qui vécut sous les Tsin, était un grand amateur de boissons fortes. Il buvait seul l'alcool qu'il distillait lui-même, le dégustant à petite gorgée. Cette habitude le distiguait de ses contemporains, qui aimaient rester oisifs et boire tout leur saoûl. Ce poète-bouilleur de cru savait conjuguer la boisson à la création littéraire; ainsi «toute sa poésie est tirée de l'alcool, dont elle renferme l'esprit».
Tou Fou, un grand poète de la dynastie de T'ang, dépeint avec minutie dans un de ses poèmes les fameux «huit immortels de la boisson» qui vécurent sous cette même dynastie. Il décrit l'état d'euphorie et de total contentement qui était le leur après leurs banquets arrosés. Ce document a conduit les générations suivantes à associer, dans un même idéal romantique, l'alcool, la poésie et les lettrés.
En plus de cette passion pour les spiritueux, les buveurs devaient avoir une endurance à toute épreuve: on rapporte de nombreux exemples de lettrés célèbres sous les dynasties de Han et de Weï capables de boire jusqu'à 5 teou (env. 50 litres) ou 1 tan (env. 100 litres) d'un coup.
L'un des jeux les plus répandus qui animaient les fêtes fait penser au «papier-ciseaux-caillou» des enfants, en Occident. Il était accompagné de vociférations ressemblant à des cris de bataille, d'où son nom de «bataille de l'alcool». Les adversaires se mettent face à face, comme deux armées sur un champ de bataille. Il s'agissait de deviner le chiffre choisi par son adversaire. Le joueur hurlait le chiffre de son adversaire en tendant une ou deux mains, dont les doigts repliés symbolisaient son propre chiffre. L'alcool aidant, l'excitation gagnait vite les joueurs. Il existait d'autres jeux similaires qui se jouaient autour de la table: on pouvait demander aux convives d'inventer une chanson, d'improviser des poèmes, de chanter à l'unisson ou encore de danser... Tous ces divertissements échauffaient allègrement l'ambiance des banquets. Ces «jeux à boire» sont encore pratiqués dans la Chine d'aujourd'hui, ainsi qu'à Taïwan.
On peut entrevoir la grande sagesse des Chinois de l'Antiquité dans les méthodes de distillation. Gréce aux relations existant entre l'alcool et les hommes de lettres et les seigneurs, l'on a aujourd'hui un aperùu des réalisations intellectuelles des anciens. L'on sait qu'il était interdit de faire soi-même son eau-de-vie et qu'un impôt était perùu sur l'alcool. Et en associant en esprit l'amour pour l'alcool et les jeux variés qui accompagnaient sa dégustation, on peut se faire une meilleure idée de la culture et des traditions du peuple chinois. Les boissons alcoolisées sont un élément important de la culture alimentaire, et leur rôle dans la civilisation chinoise ne doit pas être sous-estimé.
Le développement rapide de la République de Chine à Taïwan, au cours des dernières décennies, a conduit à des changements considérables dans les domaines politique, économique, social et culturel. Les alcools traditionnels continuent d'être en vogue, mais les vins et spritueux importés sont aussi très appréciés. Pour les dîners entre amis, les Chinois disposent maintenant de toute une palette de vins et d'alcools variés, pour le plus grand plaisir des amateurs.