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ANTHOLOGIE

LES DRAGONS DE VERTU EN PROVENCE

D'après « Superstitions et survivances », paru en 1896

Dans l'histoire de la Provence, il y a plusieurs aventures sensationnelles, de filles et de femmes qui firent les choses les plus extraordinaires pour sauvegarder leur vertu ; et qui purent, ainsi, échapper, parfois, aux entreprises brutales des séducteurs. Voici quelques-unes de ces légendes.

La légende de sainte Eusébie

Le dictionnaire d'hagiographie de Migne prétend qu'Eusébie, vierge et martyre de Marseille, était abbesse du monastère de Saint-Cyr, fondé par le célèbre Cassien, près de cette ville ; lorsque les Sarrasins, ayant pénétré en France, sous la conduite d'Abdérame et voyant que les barbares approchaient, elle détermina ses religieuses au nombre de quarante, à se défigurer le visage afin de conserver leur chasteté par un expédient héroïque dont elle fut la première à donner l'exemple. Elle se coupa elle-même le nez, et toutes firent la même chose.

Les Sarrasins étant arrivés, enfoncèrent les portes du monastère ; et, saisis d'horreur à la vue d'un spectacle aussi hideux, ils massacrèrent les saintes épouses de Jésus-Christ, qui obtinrent ainsi la double couronne de la chasteté et du martyre (le 23 octobre 731). Cette sainte Eusébie, qui eut le courage de se couper ainsi le nez, et qui décida ses quarante compagnes à en faire autant, n'a pas eu, semble-t-il, une grande réputation dans le monde chrétien ; car on ne la trouve pas, même indiquée, dans le Martyrologue de Simon Martin ; ce qui nous porte à penser que jusqu'au XVIIe siècle, cette légende était purement locale.

Les Cassianites de la vallée de l'Huveaune

Les religieuses Cassianites de l'ordre de saint Cyriaque qui habitaient sur les bords de l'Huveaune, firent comme Eusébie et ses compagnes, d'après une vieille légende. C'est encore aux Sarrasins que le méfait est imputé, et la légende affirme que ces barbares massacrèrent les saintes filles, sans les violer au préalable, grâce à cette amputation qu'elles avaient eu le courage de se faire.

Les béguines de la Sainte-Baume

Sur la montagne de la Sainte-Baume, dans l'est du Saint-Pilon, on voit une hauteur qui s'appelle le Baou dei Béguinos (le rocher des Béguines). La légende raconte que ce nom lui a été donné à la suite d'un miracle survenu en cet endroit. Au temps où il y avait des couvents d'hommes et de femmes dans divers endroits de cette montagne, il arriva un jour que deux jeunes Béguines, aussi jolies que pures et pieuses, se promenant dans le bois, s'égarèrent, parce qu'en disant leur chapelet, elles n'avaient pas fait suffisamment attention au chemin qu'elles faisaient. Or, elles étaient arrivées ainsi, jusqu'au sommet de la montagne, lorsqu'elles furent rencontrées par deux jeunes chevaliers, en quête de bonnes fortunes.

La montagne de la Sainte-Baume

Les deux débauchés, frappés de la beauté des Béguines, leur dirent des paroles déplacées, et bientôt, s'enhardissant, ils voulurent passer des paroles aux actes. Les deux saintes filles, effarouchées, se mirent à courir ; les jeunes gens, se piquant au jeu, les poursuivirent ; et il arriva un moment où les pauvres filles se trouvèrent acculées contre le bord du précipice, sans autre alternative que la mort ou le péché.

Elles préférèrent la mort. D'un commun accord, elles recommandèrent leur âme à sainte Magdeleine, et s'élancèrent dans le vide. Mais la sainte ne les abandonna pas ; elles furent soutenues par des anges, firent leur terrible saut, de près de trois cents mètres de hauteur, sans éprouver le moindre mal. Délivrées ainsi, miraculeusement, des obsessions des deux impies, elles rentrèrent dans leur couvent, en continuant à égrener leur chapelet.

François Ier

La jeune fille de Manosque : Dans l'histoire légendaire de la Provence, il est question d'une jeune fille de Manosque qui, pour échapper aux entreprises amoureuses de François Ier, se défigura de la manière la plus cruelle. Le 17 janvier 1516, le roi arriva à Manosque, en revenant d'Italie, après la bataille de Marignan. Le premier consul de la cité, Antoine Voland, vint à sa rencontre et lui fit présenter les clefs de la ville par sa fille qui était belle à ravir.
Le roi friand, on le sait, de jolies filles, regarda Mademoiselle Voland d'un air qui lui fit comprendre le danger qu'elle allait courir ; aussi, arrivée chez elle, exposa-t-elle sa figure aux vapeurs du soufre enflammé et se défigura horriblement. Lorsque le roi voulut faire violence à la pauvre enfant, il fut arrêté par cette laideur et la vertueuse jeune fille sauvegarda ainsi son honneur au prix de sa beauté. Cette légende, dans laquelle se trouvent une date précise et le nom de l'héroïne, pour en imposer davantage à la crédulité, n'est, fort probablement, qu'un récit très inexact d'un fait réel de minime importance ; et peut-être a-t-on « prêté au riche », car on sait combien la réputation de galanterie de François Ier est bien établie.

Le couvent de l'Almanarre

Denis et Chassinat, dans leur livre sur Hyères, racontent que les religieuses du couvent de l'Almanarre menaient, au cours du XVIIIe siècle, une vie assez joyeuse et songeaient plus au plaisir qu'au salut de leur âme. Ces dames menaient une vie toute mondaine, recevant des visites, donnant des réunions auxquelles assistait la jeunesse des deux sexes du pays. Il faut dire pourtant au rapport des contemporains, que pour respecter la règle monastique et sauver les apparences, les bonnes dames avaient recours à un singulier et tout à fait plaisant compromis.Pour remplacer la grille derrière laquelle se tenaient parfois les religieuses, quand elles avaient à parler avec des personnes du dehors, on avait tracé sur le plancher de la salle de réception, une ligne qui la coupait en deux parties. A cheval sur cette ligne, des tables de jeu étaient placées. D'un côté se tenaient les saintes filles de Saint-Bernard, de l'autre, les visiteurs profanes, comme en deux camps séparés. Mais le Diable n'y perdait rien : les regards provocateurs, les douces pensées, les ardents désirs franchissaient de part et d'autre la ligne de séparation, de tendres sentiments s'échangeaient ; si bien que quand les religieuses furent déliées de leurs voeux et rendues à la liberté par l'Assemblée Constituante, l'une d'elle s'unit, en bon et légtime mariage, avec un des habitués les plus assidus et les plus aimables de ces agréables réunions.

L'abbaye de la Celle

La fameuse abbaye de la Celle, près de Brignoles, a fait beaucoup parler d'elle, dans son temps. Citons l'aventure mentionnée par Rabelais, de la jeune et jolie religieuse qui, ayant le défaut de trop parler, reçut de son confesseur, pour pénitence, l'ordre de garder le silence d'une manière absolue pendant un mois. Or, un godelureau profita de l'occasion pour l'assaillir ; et la sainte fille préféra subir toutes ses attaques amoureuses, plutôt que de violer son voeu de silence

 

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